"... J'aurais pu,
d'après sa stérilité, lui donner fort convenablement
le nom d'" Ile de la Désolation ", mais pour ne pas
ôter à M. de Kerguelen la gloire de l'avoir découverte,
je l'ai appelée la Terre de Kerguelen... "
James Cook [1728-1779].
A présent que nous avons vu le processus de rattachement géodésique des marégraphes dans un référentiel terrestre mondial, il convient d'évaluer sa qualité. Pour ce faire, nous avons décomposé celui-ci en ses trois maillons " naturels "; chacun correspondant à l'un des trois domaines techniques considérés : la marégraphie, le nivellement et la géodésie spatiale.
Le découpage choisi se justifie d'autant que les erreurs systématiques propres aux instruments d'un domaine peuvent raisonnablement être envisagées comme indépendantes des erreurs systématiques générées par les instruments des deux autres domaines. A cet égard, rappelons que les erreurs systématiques indépendantes subsistent, se cumulent, et se retrouvent dans le résultat final. Ceci quelle que soit la multiplicité des observations. En revanche, lorsqu'elles sont dépendantes, un effet de compensation peut se produire. Quant aux erreurs d'observation ou erreurs accidentelles, elles ne rentrent pas dans le propos de ce chapitre puisqu'elles ne se rapportent pas aux instruments eux-mêmes, mais à l'exploitation de leurs résultats. Ces erreurs sont dites accidentelles car elles se produisent tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, à l'inverse des erreurs systématiques qui se produisent systématiquement dans un sens. Si l'on suppose que les erreurs d'observation sont nombreuses, indépendantes, indifféremment positives ou négatives et où chacune d'elles est petite par rapport à la somme de toutes les autres, la loi des grands nombres postule que leurs valeurs tendent à se grouper autour de leur moyenne théorique zéro. La fréquence des plus grandes diminuant à mesure qu'elles s'écartent de la moyenne. La loi de probabilité des erreurs accidentelles est alors légitimement représentée par une courbe de Gauss centrée.
Notons que parmi les imperfections génératrices d'erreurs systématiques, les unes sont connues et déterminées, d'autres sont connues mais non déterminées, voire non déterminables, et certaines enfin ne sont pas connues et a fortiori ne sont pas susceptibles d'être déterminées. Aussi, il serait nécessaire de faire pour chaque instrument pris individuellement une étude complète et rigoureuse des erreurs systématiques dues à la fois à sa conception matérielle et aux conditions de son fonctionnement. Ce travail dépasse largement le cadre de ce travail. Nous nous sommes donc limités à quelques techniques de chaque domaine, en général les plus significatives à l'heure actuelle, sans toutefois rentrer dans les considérations des réalisations pratiques, spécifiques aux constructeurs.
Nous avons déjà vu au chapitre II quelles sont les principales techniques de marégraphie en usage à l'heure actuelle. Le principe de mesure de chacune d'elles a alors été décrit. Dans le cadre du travail de thèse, nous avons naturellement porté toute notre attention sur les marégraphes mécaniques à flotteur. D'une part, ce type de marégraphe est encore le plus largement répandu, et d'autre part, le seul marégraphe aujourd'hui à la charge de l'IGN fonctionne suivant ce principe (cf. annexe A). La volonté de remplacer ce vieil instrument centenaire, nous a par ailleurs conduit à nous intéresser aux techniques modernes disponibles. Le choix s'est progressivement dirigé vers les marégraphes acoustiques, d'abord en raison des performances que nous avons pu constater dans les publications effectuées à leur sujet par différents chercheurs [Scherer 1986, Homes 1992, Gill et al 1993, Lenon et al 1993, Vassie 1993], mais aussi parce que le SHOM a opté pour ce type d'appareil après une phase expérimentale de plusieurs années [Dupuy 1993, Simon 1993]. Aussi, la perspective d'une collaboration nationale avec cet organisme nous encourage à maintenir ce choix initial, de manière à bénéficier des développements et de l'expertise déjà acquises et à maintenir un parc homogène d'instruments.
D'un point de vue général, les marégraphes à flotteur ont les défauts de tous les appareils mécaniques, à savoir, qu'ils ne démarrent ni s'arrêtent instantanément en raison de leur inertie, qu'ils sont en retard sur le phénomène, qu'ils accusent des jeux, des décalages, des frottements, etc. En outre, les imperfections s'accentuent avec le temps, le matériel s'usant et se dérèglant plus fréquemment. Les sources d'erreurs systématiques sont donc potentiellement nombreuses et variées. Elles concernent les différentes parties constituant le marégraphe, plus spécifiquement:
Les performances d'un marégraphe à flotteur et la qualité de ses mesures dépendent du choix du matériel, mais également du soin et du suivi que l'on porte à cet instrument pour lutter contre ses dérèglements et sa détérioration. Aussi, l'incertitude sur la mesure de hauteur d'eau instantanée est évaluée entre un et plusieurs centimètres suivant le marégraphe. L'opération d'étalonnage et la mise en oeuvre du test de van de Casteele contribuent à la détection des défauts (cf. chapitre III).
L'étalonnage est par ailleurs indispensable pour recaler le zéro instrumental du marégraphe car la plupart des imperfections se traduisent par une réorganisation de l'équilibre des éléments du marégraphe. Si l'on souhaite atteindre le millimètre sur le niveau moyen mensuel, le calage du zéro du marégraphe doit se faire à mieux que le millimètre. Dans le cas du marégraphe de Marseille, nous avons vu que la dérive indiquée par les étalonnages successifs est lente, inférieure au millimètre par an (cf. figure 56). Elle ne peut toutefois être négligée lorsque l'on cherche des signaux de l'ordre du millimètre par an. Un étalonnage annuel s'avère suffisant dans ce cas pour conserver le niveau de précision millimétrique. Si l'on suppose par ailleurs que les erreurs systématiques ont un spectre basse fréquence, qu'elles peuvent donc s'assimiler à l'instabilité du zéro de l'instrument, et que les autres erreurs sont en grande partie aléatoires, alors une précision de trois centimètres sur la mesure instantanée du marégraphe suffit pour estimer des moyennes mensuelles du niveau de la mer à un millimètre près (cf. chapitre II).