L'expectative d'exprimer les mesures des marégraphes dans un système de référence terrestre tel que l'ITRS a soulevé l'intérêt de la communauté scientifique, et en particulier des chercheurs dont les résultats sont limités par le caractère local et relatif de ces mesures. Aussi, la combinaison des techniques de marégraphie et de géodésie spatiale apparaît comme une solution attractive à explorer. Elle permettrait de comparer avec précision les résultats des marégraphes à l'échelle mondiale, et d'estimer sans ambiguïté les variations absolues du niveau de la mer liées aux changements climatiques. Le présent chapitre étudie enfin le processus qui permet de rattacher les marégraphes à un système géodésique mondial, puis évoque quelques unes de ses autres applications.
Le concept de rattacher les marégraphes à un système géodésique n'est pas nouveau. Il remonte au moins au début du siècle, alors qu'on cherchait déjà à comparer les niveaux marins des côtes méditerranéenne et atlantique obtenus à partir des marégraphes métropolitains en France [Vignal, 1935]. Toutefois, l'étude présentée au chapitre V montre quels sont les risques à utiliser les réseaux de nivellement comme référence verticale pour effectuer de telles comparaisons. Bonnetain [1987] prévient les interprétations océanographiques qui pourraient être tirées trop hâtivement des niveaux moyens de la mer exprimés dans le système d'altitude NGF-IGN69. Les données marégraphiques ainsi réduites à la référence nationale d'altitudes seraient en moyenne à +43 cm sur les côtes de La Manche, et à +33 cm sur les côtes atlantiques, au-dessus du niveau moyen de la mer établi en Méditerranée, à Marseille, entre 1885 et 1897.
L'originalité du processus synergique que nous étudions ici réside dans la référence verticale considérée, de nature géométrique et géocentrique, et dans les techniques de géodésie spatiale qui permettent de la réaliser, et de s'y rattacher. La relation entre les données du marégraphe et la réalisation du système de référence terrestre est déterminée par les diverses techniques qui constituent ce processus. Chacune constitue un maillon de la chaîne qui relie de proche en proche le niveau de la mer et le système géodésique.
La figure 86 illustre les principaux éléments du processus de rattachement géodésique des marégraphes considéré. D'un côté, nous avons le niveau de la mer et la marégraphie, de l'autre, la matérialisation du référentiel terrestre et la géodésie spatiale. La liaison entre les deux se fait dans le cas général par nivellement et par techniques spatiales différentielles portables. La relation qui apparaît de prime abord s'écrit en considérant la contribution de chacune des techniques:
Equation (E.VII.1)
Figure 86 : Principaux éléments du rattachement géodésique des marégraphes dans un système de référence terrestre mondial par techniques de géodésie spatiale (dessin A. Pasquier).
Cette formulation générale est toutefois approchée. Elle pourrait suffire dans la plupart des cas, mais elle ne reflète pas quelques réalités qui peuvent en pratique poser des difficultés à obtenir des résultats, ou qui permettent d'expliquer la qualité médiocre de ces derniers. A titre d'exemple:
* Le transfert de hauteur par nivellement se réalise de fait par rapport à une surface de niveau, que l'on peut d'ailleurs assimiler au géoïde. Or, celle-ci présente parfois une pente non négligeable par rapport à l'ellipsoïde de référence. D'autant plus négligeable, il est vrai, que le relief est plat et le cheminement court.
* La donnée du marégraphe est rarement diffusée par rapport au repère de marée. Des confusions peuvent survenir lorsque les intervenants d'origines différentes ne s'entendent pas clairement sur les questions terminologiques de référence du marégraphe: référence interne de l'instrument, ou référence externe de l'observatoire définie par le biais du repère de marée, mais pas forcément confondue avec son sommet (cf. chapitre III).
Aussi, une formulation plus complète est donnée dans la relation (E.VII.2). Elle s'appuie sur la représentation vectorielle de la figure 87 qui aide à la retrouver et à la comprendre. A priori, chacune des grandeurs définies dans cette relation peut être considérée comme indépendante des autres. Les valeurs respectives sont en effet issues de techniques d'observation et d'analyse différentes. Par suite, les erreurs systématiques intrinsèques à chacune d'elles pourront également être estimées indépendantes dans un budget d'erreur.
Equation (E.VII.2)
Figure 87 : Schéma des grandeurs intervenant dans le processus de rattachement des marégraphes dans un système géodésique mondial par techniques spatiales.
La relation (E.VII.2) a donc le mérite d'être plus rigoureuse, mais aussi de mettre en évidence les diverses grandeurs soumises à mesurage dont nous aurons à manipuler les valeurs dans le cas le plus général. Il s'agit des informations de:
* marégraphie. Outre la donnée du marégraphe {m}, nous devons connaître la définition {D} de sa référence par rapport au repère de marée. La valeur de {D} peut d'ailleurs varier suivant que le repère de marée est déplacé, détruit, ou remplacé.
* nivellement. La dénivelée {[[Delta]]HMG} entre le repère de marée et celui de géodésie spatiale concerne a priori un cheminement local qui n'excède pas quelques kilomètres.
* géodésie physique. La pente du géoïde {[[Delta]]NMG} peut être estimée à partir de modèles de géoïde. D'ordinaire ce terme est négligé car la distance qui sépare les deux repères est suffisamment courte, à peine quelques kilomètres. Toutefois, il faut étudier cette simplification au cas par cas, selon la configuration du site et la connaissance du géoïde localement.
* géodésie spatiale. La hauteur du repère géodésique {hG} est exprimée par rapport à l'ellipsoïde de référence du système géodésique mondial considéré, l'ITRS par exemple.
L'origine de certaines de ces grandeurs mérite toutefois quelques éclaircissements, notamment lorsqu'elles ne proviennent pas directement du traitement d'un type unique de mesure. C'est le cas de {m} qui est issue des indications {g} du marégraphe; du calage {CM} de son zéro au repère de marée, déterminé par étalonnage (cf. chapitre III); et de la cote {D} du repère de marée au-dessus de la référence conventionnelle de l'observatoire. C'est aussi le cas de la grandeur {hG} qui est établie à partir:
* de la hauteur {} obtenue à partir du traitement des données d'une technique de géodésie spatiale, fournissant ce que l'on appelle une solution individuelle, ou un jeu de coordonnées individuel, dans lequel figure en particulier la position de notre point (G).
* de l'excentrement {CM} du centre de phase de l'antenne du récepteur géodésique vers un point appartenant au système de référence terrestre considéré. D'ordinaire, le vecteur est mesuré localement par techniques de géodésie classique.
* et de la transformation {CT} qui se détermine à partir de l'analyse de combinaison de la solution individuelle avec la réalisation du système de référence terrestre adopté. C'est une analyse du type que réalise l'IERS pour construire l'ITRF (cf. Chapitre VI).
Notons que le traitement des observations d'une technique spatiale s'effectue en général par réseau de points, donnant lieu à un jeu de coordonnées associé. Ceci même si la technique n'est pas de type différentielle, afin de mieux contraindre les incertitudes liées au système de référence terrestre sous-jacent à la solution individuelle. Diverses stratégies de calcul en réseau sont possibles. Une stratégie en " réseau d'appui " contraint fortement les coordonnées d'un certain nombre de points, ou les fixe. Les coordonnées de ces points définissent alors le système de référence de la solution. L'inconvénient principal de cette méthode est que les incertitudes dans les positions des points fortement contraints se répercutent dans les estimations des coordonnées des autres points. Une autre stratégie est celle de " réseau libre ", ou plus précisément à contraintes minimales. Les résultats d'une telle solution sont plus cohérents, dans la mesure où les données s'ajustent à un système de référence naturel, intrinsèque au processus d'analyse et aux observations. Ce n'est que par la suite que l'on retranche le biais de système de référence en combinant la solution obtenue en réseau libre avec la réalisation du système de référence terrestre auquel on désire se ramener.
Ces remarques expliquent quelque peu la nature de la grandeur {CT} introduite dans la relation générale (E.VII.2) qui, à l'image de l'étalonnage du marégraphe {CM}, apporte une information de calage à une référence conventionnelle adoptée par ailleurs. Dans un cas, la dérive est supposée se traduire par une nouvelle valeur du biais, dans l'autre, on postule qu'elle est modélisée correctement par similitude à sept paramètres.
Enfin, la décomposition des grandeurs {[[Delta]]HMG} et {[[Delta]]HMG} n'avaient pas d'autre objet ici que de matérialiser le géoïde sous les points (M) et (G) pour une meilleure compréhension et visualisation de la formulation (E.VII.2).