La connaissance du niveau des mers est une préoccupation de longue date pour l'Homme, comme en témoigne la première table de prédiction des marées à Hangzhou, en Chine, établie pendant le règne de la dynastie Tang, vers l'an 770 [Emery & Aubrey, 1991]. La motivation principale qui a conduit l'Homme à s'intéresser de près à l'observation des variations du niveau de la mer est la navigation. Alors que les premières tables chinoises marquaient simplement les pleines et les basses mers en fonction des phases de la Lune, l'augmentation du commerce maritime a généré le besoin d'une connaissance plus détaillée des variations de la mer. Cette nécessité a poussé l'Homme à imaginer des moyens de plus en plus sophistiqués pour mesurer avec précision les fluctuations du niveau des mers; d'abord, en installant simplement des échelles de marée à proximité des ports; puis, en concevant des instruments de haut niveau technique, comme par exemple les marégraphes à capteur de pression ou à propagation d'ondes acoustiques; et enfin, depuis quelques années, en mettant à profit les satellites artificiels. Les marégraphes sont encore largement employés pour la navigation près des côtes, mais leurs données sont de plus en plus utilisées dans de nombreuses autres applications, à caractère scientifique, ayant pour objet l'étude de notre environnement et des mécanismes physiques qui le gouvernent.
L'élévation globale du niveau de la mer, observée depuis la fin du XIXe siècle par la plupart des marégraphes séculaires, est un sujet de préoccupation important, non seulement à cause de son impact direct dans les nombreuses régions côtières basses, mais surtout parce qu'il est parallèle à un accroissement considérable de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre d'origine anthropique, et que nous ignorons quelle sera la réponse du système climatique à une telle perturbation. Des experts internationaux, réunis autour du groupe de travail scientifique et technique de l'Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), établi en 1988 par l'Organisation Météorologique Mondiale (OMM/WMO) et le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE/UNEP), prévoient un réchauffement global du climat de la Terre dont une conséquence probable est la fonte des glaces continentales et l'élévation du niveau des mers [IPCC, 1995]. Une meilleure estimation de la tendance à long terme du niveau des mers apparaît alors comme un élément important pour mieux comprendre le fonctionnement du système climatique et le rôle de chacune de ses composantes: atmosphère, hydrosphère, lithosphère, cryosphère et biosphère. Il permettra en outre d'améliorer les modèles climatiques et de réduire les incertitudes que contiennent leurs prédictions.
Toutefois, les données enregistrées au niveau local par un marégraphe sont très variables et font souvent apparaître des tendances contradictoires aux différentes échelles spatiales. Cela s'explique en partie par le caractère relatif de la mesure marégraphique, qui fournit une information de niveau de la mer par rapport à l'écorce terrestre. Un affaissement du sol, d'origine locale ou régionale, à l'endroit où est implanté l'observatoire, aura un effet analogue à une élévation absolue du niveau de la mer provoquée par la fonte des glaces continentales. La plupart du temps, les deux phénomènes, terrestre et océanique, sont présents dans les enregistrements marégraphiques. Il est essentiel de pouvoir les distinguer afin d'éviter toute erreur d'interprétation géophysique.
Les systèmes spatiaux de positionnement précis peuvent apporter le complément technique nécessaire aux marégraphes pour résoudre le problème d'interprétation géophysique associé à leur mesure relative. L'apport se situe à deux niveaux, d'une part, les techniques de géodésie spatiale permettent la réalisation d'un système mondial de référence terrestre géocentrique [Boucher & Altamimi, 1993], et, d'autre part, elles permettent de déterminer les positions et les vitesses de points à la surface de la Terre dans ce même système de référence géodésique, notamment sur la composante verticale. Lorsque les points concernés sont les repères de marée des marégraphes, on parle de rattachement géodésique des marégraphes dans un système de référence mondial par techniques de géodésie spatiale. Le succès du processus synergique marégraphie - géodésie spatiale réside dans les progrès récents réalisés dans les techniques spatiales radioélectriques de positionnement, en termes d'exactitude et de mise en oeuvre, qui sont capables de satisfaire les exigences spécifiques de l'estimation des variations séculaires actuelles du niveau des mers.
Ce mémoire de thèse est découpé en trois parties principales, dont nous donnons ici une brève présentation.
La première partie nous permet de mieux situer l'intérêt scientifique du sujet dans son contexte historique et actuel. Elle apporte quelques notions générales importantes sur le système climatique et le niveau des mers, une description des marégraphes, et une analyse critique de leurs données et des résultats obtenus jusqu'à présent par divers auteurs qui se sont penchés sur la problématique de l'estimation des variations séculaires du niveau des mers.
La deuxième partie concerne l'étude des références verticales. Elle aborde les éléments de base du rattachement géodésique des marégraphes, en particulier les techniques de géodésie spatiale et leur utilisation pour réaliser le système de référence terrestre du Service International de la Rotation Terrestre (IERS) et pour exprimer les positions et les vitesses des marégraphes dans ce dernier.
Enfin, la troisième et dernière partie est consacrée à l'évaluation du processus synergique de rattachement des marégraphes. Elle s'attache à démontrer l'intérêt de l'apport de la géodésie spatiale pour notre problème particulier de l'estimation des variations séculaires du niveau des mers à partir des marégraphes, notamment par le biais d'un budget d'erreur aussi complet que possible. Nous examinons la qualité des résultats obtenus en pratique. Trois configurations différentes sont alors considérées: les marégraphes proches d'un site ITRF; les campagnes GPS de durée limitée dans le temps; et le cas particulier de l'observatoire de Kerguelen, où un GPS permanent est installé et contribue au réseau de l'IGS.
Pour clore, une bibliographie non exhaustive donne une idée de ce qui a pu être écrit au sujet de la synergie de la marégraphie et de la géodésie spatiale, ainsi que sur l'estimation des variations séculaires du niveau des mers.