Le site de Kerguelen situé dans l'océan Indien sub-antarctique fait partie du Réseau d'Observation Sub-Antarctique et Antarctique du niveau de la MEr (ROSAME). Il s'agit d'une contribution française au réseau international GLOSS. Le marégraphe en question est un appareil à capteur de pression installé à Port-aux-Français dans un puits fixé contre le quai, non loin de l'ancien emplacement du marégraphe qui servit en 1962 à établir une référence altimétrique [Guichard, 1964]. Le niveau technologique de cette station répond au normes de qualité de WOCE, notamment en ce qui concerne la transmission des données en temps réel via ARGOS. Aussi, tel que le recommande le projet GLOSS [IOC, 1990], nous avons étudié le moyen de rattacher ce marégraphe par techniques de géodésie spatiale à un système de référence terrestre mondial.
A cet égard, le site de Kerguelen est justement équipé d'un récepteur GPS permanent et d'une balise d'orbitographie DORIS, implantés non loin de là, à environ trois kilomètres. Mais, comme nous allons le voir par la suite, la partie n'est pas gagnée pour autant. Le GPS, un récepteur Rogue SNR-8C, est opérationnel dans l'IGS depuis novembre 1994, soit un mois après notre campagne NIVMER-94 [Le Provost & Wöppelmann, 1994]. Ce site est donc surveillé en permanence par deux techniques de positionnement précis. Sa configuration et son environnement nous ont fait opté pour l'installation d'un pilier géodésique à moins de 50 m du marégraphe. Le support rocheux du pilier est du basalte des plateaux, dont les caractéristiques de stabilité étaient fortement recommandées par le géologue de l'IPGP, Mr Cheminée, consulté avant la mission. Aussi, nous devons remarquer que, dès la base de Ports-aux-Français et en direction du site où se trouvent les instruments de géodésie spatiale, le terrain est de dominante sablo-argileuse et constitue une zone marécageuse à tourbière (cf. extrait de la carte géologique Nougier, 1970). La stabilité absolue du site géodésique, et par suite la stabilité relative de notre marégraphe par rapport à ce dernier, est loin d'être acquise si l'on se fie aux indications géologiques. Aussi, il est regrettable que les objectifs du CNES et les nôtres n'aient pu coïncider. Un maillon supplémentaire est donc ajouté au processus de rattachement du marégraphe de Kerguelen, il correspond au vecteur liant le pilier géodésique du marégraphe aux instruments permanents.
Figure 94 : Extrait de la carte géologique de reconnaissance des îles Kerguelen [Nougier, 1970], à proximité de la base de Ports-aux-Français.
Voyons à présent quel est l'état de connaissance de ces " maillons " dans le cas pratique de Kerguelen. La grandeur {m} de la relation (E.VII.2) est mesurée depuis quelques années à présent. Toutefois, ses indications se réfèrent à sa référence instrumentale. Elle n'est matérialisée par aucun repère de marée, et ne peut donc pas être surveillée dans le temps. Lors de notre campagne NIVMER-94, nous avons complété le réseau de points de nivellement existant afin de mettre en place la base matérielle d'une surveillance de la stabilité du site sur plusieurs années. L'un d'eux convient parfaitement à la fonction de repère de marée. Nous avons également tenté une opération d'étalonnage avec le prototype de l'Observatoire Royal de Belgique (cf. chapitre III), sans résultats concrets jusqu'à présent. Les grandeurs {CM} et {D} n'ont par conséquent pas de détermination encore.
La quantité {[[Delta]]HMG} n'était pas déterminable pendant NIVMER-94, puisque l'un des propos de la campagne était justement de mener une reconnaissance de terrain, et de choisir l'emplacement du pilier. Sa construction s'est effectuée entre notre campagne et celle du géomètre de l'IGN, dont l'une des missions était de rattacher les divers repères entre eux: DORIS, GPS, et nivellement. En revanche, nous avons observé le réseau local de repères de nivellement. La comparaison des dénivelées avec celles qui furent déterminées dans les années 1960 donne des résultats remarquablement cohérents, à mieux que 3 mm. Ces résultats sont d'autant plus significatifs d'une remarquable stabilité locale que Guichard [1964] évaluait la précision des dénivelées entre 2 et 3 mm en raison du matériel employé. Les écarts s'expliqueraient donc plutôt par l'incertitude de la détermination que par un mouvement réel du sol.
Le géomètre a observé sa dénivelée en aller - retour comme prévu, avec les contrôles de rigueur. Seulement, n'ayant pas effectué les calculs de dénivelée sur place, il n'a pu déceler la faute qui s'est glissée dans une des nivelées du cheminement, et qui s'est de toute évidence compensée dans le contrôle de marche. Aucune autre dénivelée n'a malheureusement été observée par ailleurs, qui aurait pu identifier la faute: sur la dénivelée aller, ou sur la dénivelée retour. En attendant, leur écart est de 1 cm, soit un facteur 10 par rapport à ce que l'on attend du nivellement géométrique de précision.
Le rattachement supplémentaire entre le pilier du marégraphe et les points de géodésie spatiale DORIS et GPS ont été observé par ce géomètre en novembre 1994. En décembre 1995, un collaborateur australien installait un récepteur GPS sur le pilier marégraphique pendant quelques jours. Les résultats de la première opération de rattachement figurent dans le rapport de Fagard [1995]. Il effectue un calcul de compensation de l'ensemble des rattachements locaux disponibles. Les résultats indiquent une précision de l'ordre de trois millimètres sur les trois composantes, à peine dégradée en vertical.
Quant aux données de 1995, nous les avons récupérées via internet, et calculées avec le Bernese Software, version 4.0. Deux sessions ont pu être constituées, l'une de 8 heures pour le premier jour, l'autre de 12 heures pour le second. En effet, les fichiers ont été mal assemblés ou mal transformés au format d'échange RINEX, résultant en des données disparates et mélangées au sein de chacun. La quantité de données sauvées était a priori suffisante pour assurer un rattachement à quelques millimètres sur une ligne de base de trois kilomètres à peine. La comparaison des deux solutions journalières montre un désaccord de deux à trois millimètres pour les deux composantes horizontales, et de 1.3 centimètres en vertical. Après de nombreuses recherche, l'explication est venue d'un collègue du centre IGS CODE avec lequel le LAREG est associé (M. Rothacher). L'antenne du récepteur GPS ASHTECH de l'australien (GEODETIC L1/L2) est un des plus anciens modèles de cette marque. Ses performances sont médiocres en raison du haut niveau d'instabilité de son centre de phase. Aussi, malgré l'utilisation des corrections de variation du centre de phase de l'antenne, on ne peut obtenir mieux que le centimètre en vertical. La comparaison avec le rattachement de 1994 reflète ce niveau d'incertitude.
Enfin, nous nous sommes intéressés aux données du récepteur GPS ROGUE qui est en place de manière permanente depuis novembre 1994. Les centres d'analyse de l'IGS traitent ces données de manière routinière en raison de la situation stratégique intéressante de Kerguelen pour les calculs d'orbite des satellites GPS. Aussi, nous avons récupéré sur le centre de données global IGS de l'IGN les produits calculés qui nous intéressaient. La figure 95 donne les séries temporelles de la composante verticale des positions calculées par chacun des centres. Il s'agit de données hebdomadaires exprimées dans un système de référence terrestre inhérent à chaque centre, proche de l'ITRS puisque l'IGS l'a adopté et que les orbites des satellites GPS y sont exprimées.
Nous avons estimé la tendance de chacune des séries temporelles proposées par régression linéaire. Le tableau de la figure 96 donne les résultats obtenus. On constate en moyenne une pente très faible à la baisse de l'ordre de -0.20 mm/an avec une incertitude de 0.1 mm/an environ. Ce tableau donne par ailleurs les positions moyennes calculées pour chacun des centres, puis pour l'ensemble. Les déterminations sont en général cohérentes à mieux que deux centimètres. Les solutions combinées de l'IGS, produites par le MIT et le NCL, sont isolées dans la figure 95.b. Elle permet de mieux apprécier la cohérence de ces séries temporelles.
Figure 95.a et 95.b : Hauteurs ellipsoïdales { } calculées par les divers centres d'analyse GPS de l'IGS et mises à disposition des utilisateurs sur le centre de données global situé à l'IGN.
Figure 96 : Composante verticale des séries temporelles de positions fournies par les centres d'analyse GPS de l'IGS.
Centre de calcul IGS Hauteur moyenne (m) Vitesse (mm/an) CODE [803-897] (73.016 +/- 0.013) (-0.07 +/- 0.04) EMR [801-896] (73.055 +/- 0.013) (-0.24 +/- 0.04) ESA [838-896] (72.954 +/- 0.073) (-0.47 +/- 0.56) GFZ [821-897] (73.060 +/- 0.066) (1.76 +/- 0.27) JPL [813-896] (73.059 +/- 0.033) (-0.71 +/- 0.13) MIT [840-895] (73.023 +/- 0.008) (0.04 +/- 0.07) NCL [814-896] (73.039 +/- 0.019) (-0.68 +/- 0.09) SIO [814-896] (73.068 +/- 0.070) (-1.20 +/- 0.32) MOYENNE (73.034 +/- 0.018) (-0.20 +/- 0.09)
L'exemple de Kerguelen illustre encore une fois qu'il n'est pas immédiat d'obtenir un rattachement de qualité pour la référence du marégraphe, et par suite pour l'expression des variations de niveau marin en absolu. Les maillons de la chaîne du processus sont nombreux et nécessitent chacun une attention particulière. Le nivellement géométrique de précision est encore le maillon le plus précis de la chaîne. Toutefois, nous constatons à notre détriment que l'on ne se trouve pas à l'abri de surprises.