Nous avons vu au chapitre II que seuls les marégraphes de Brest et de Marseille présentent actuellement, en France, des séries temporelles de données suffisamment longues pour estimer de manière sûre une tendance à long terme du niveau de la mer. Néanmoins, les divers enregistrements qui existent pourraient également être exploités dans cette optique moyennant une meilleure connaissance des fluctuations de courte échelle de temps qui affectent le niveau de la mer. De nombreux mécanismes physiques contribuent en effet aux variations relatives du niveau de la mer. Leur somme masque tout signal eustatique qui révélerait un réchauffement climatique. Aussi, une connaissance préalable précise de ces contributions permettrait d'isoler les effets séculaires. Par ailleurs, il est désormais reconnu qu'il est indispensable d'étudier les processus physiques de relativement courte période, interannuelle et interdécennale, pour mieux comprendre les mécanismes de réponse des océans aux changements climatiques qui s'effectuent à plus long terme.
Les deux premières sections de ce chapitre ont présenté les effets instrumentaux et épirogéniques potentiellement présents dans le signal enregistré par un marégraphe, nous abordons à présent les phénomènes physiques susceptibles de figurer dans la composante marine de cet enregistrement. Ils sont nombreux et variés, et couvrent un spectre temporel de variation très vaste, qui s'étale de quelques minutes pour les seiches à plusieurs centaines d'années, voire plus, pour les perturbations d'ordre climatique. Les effets physiques observés sont parfois regroupés de la manière suivante:
Revus et étudiés en détail par divers chercheurs, en particulier Pirazzoli [1976], Pugh [1987], Emery & Aubrey [1991], Le Provost [1993], et Minster [1994], il est relativement aisé de dresser un inventaire des mécanismes considérés. Aussi, nous faisons une synthèse rapide de ces analyses en cherchant surtout à dégager les caractéristiques spatio-temporelles et l'ordre de grandeur des effets. Celles-ci sont résumées à la fin de la section dans le tableau de la figure 65.
La marée océanique est un phénomène périodique de montée et de baissée du niveau de la mer. Il est gouverné par l'action gravitationnelle des autres corps du système solaire, essentiellement la Lune et le Soleil. L'explication et la détermination de ce phénomène se sont précisées au fur et à mesure des progrès réalisés en particulier dans les sciences mathématiques.
Parmi les contributions notables à la connaissance de la marée, nous devons d'abord citer les travaux effectués par Isaac Newton [1642-1727] qui suivirent sa célèbre théorie de l'attraction universelle. La théorie statique de la marée formulée par Newton considère l'action perturbatrice des forces gravitationnelles de la lune et du soleil sur le potentiel de gravitation de la Terre. Elle explique les principales caractéristiques observées sur les côtes, notamment la marée semi-diurne, les effets de morte-eau et de vive-eau, ou encore la marée d'équinoxe. Elle établit en outre l'influence prépondérante de la Lune par rapport au Soleil et l'existence des ondes principales qui constituent la marée. Mais les valeurs théoriques calculées ne correspondent pas souvent à l'amplitude observée dans les ports. Le tableau de la figure 61 donne l'amplitude moyenne de la marée effectivement observée en quelques ports du monde. L'amplitude théorique maximale de marée d'équilibre, inférieure au mètre, ne peut expliquer ces résultats [Bouteloup, 1979]. Par ailleurs, il est fréquent qu'elle présente un retard par rapport à la prédiction. Ce décalage est appelé âge de la marée, typiquement de l'ordre de deux jours [Pugh, 1987].
Figure 61 : Amplitude des marées observée dans différents ports, d'après Dars [1971].
PAYS PORT Amplitude moyenne en vive-eau CANADA CANADA Baie de Fundy Baie 13,6 m 13,6 m 13,1 m 12,6 m ANGLETERRE Frobisher Rivière 11,9 m 11,5 m 11,0 m 10,4 m FRANCE Severn Baie du Mont 10,1 m 10,1 m 9,6 m 9,1 m PATAGONIE Saint-Michel Détroit 9,1 m 9,1 m 8,7 m SIBÉRIE de Magellan Cap AUSTRALIE Astronomique Collier CHINE CANADA Bay Ile Rambler ALASKA Rivière Kotsak MEXIQUE Sunrise Rio Colorado BRÉSIL CORÉE J. Maraca Masampho AUSTRALIE Ile Mangrove INDES Bhannagar
C'est Pierre Simon de Laplace [1749-1827] qui, s'appuyant sur des observations du niveau de la mer effectuées à Brest entre 1714 et 1717, souligne les limites de la théorie statique des marées de Newton. En particulier, cette dernière postule que la surface des mers prend instantanément la position d'équilibre correspondant aux forces agissantes. Laplace énonce les lois générales des marées en un lieu en introduisant des considérations dynamiques qui prennent en compte les effets d'inertie et expliquent les déphasages observés.
La méthode d'analyse harmonique se fonde sur le postulat que, sous l'action d'une force perturbatrice périodique sinusoïdale, le niveau de la mer est animé d'un mouvement de même période. Le mouvement résultant de plusieurs forces périodiques est la somme des mouvements que produirait chacune d'elles. Les constantes harmoniques sont déterminées par l'observation. A cet égard, Simon [1994] précise qu'un an d'observations est nécessaire pour obtenir une précision des prédictions de la marée suffisantes pour les besoins de la navigation. Toutefois, la composante nodale de la marée ayant une période de 18,6 ans, une correction optimale suppose une observation d'au moins cette période. La précision de la correction dépend bien entendu de la qualité des données utilisées. Par ailleurs, les modèles de marée récents établis l'échelle du globe [Le Provost, ?] permettent d'éliminer la contribution de la marée avec une précision de l'ordre de quelques centimètres en tout point des océans.
Notons que le phénomène de la marée du pôle n'est pas un effet direct des forces gravitationnelles des astres. C'est le mouvement irrégulier de l'axe de rotation de la Terre qui, induisant une accélération différentielle, est responsable de la déformation observée à la surface de la Terre. L'analyse globale des données marégraphiques mensuelles effectuée par Trupin & Wahr [1990] met clairement en évidence la présence de cet effet. Son amplitude serait de plusieurs millimètres avec une période de 436 jours.
Nous considérons ici les effets de courte échelle de temps dus au vent et à la pression atmosphérique en surface, d'où l'emploie de l'attribut " météorologique ". Cette précision présume des influences à plus long terme de l'atmosphère que nous classons dans les effets climatiques. La frontière entre la météorologie et la climatologie paraît parfois un peu floue. A ce titre, précisons que les effets interannuels et de plus longue période sont a priori considérés dans les processus climatiques.
La réponse du niveau de la mer aux variations de la pression atmosphérique est souvent désignée sous le nom de la correction statique qui lui est souvent associée, dite de " baromètre inversé ". Elle provient du changement de la force de pression de la masse d'air surplombant la surface marine, qui engendre une redistribution horizontale des masses d'eau sous-jacentes. La correction statique en baromètre inversé s'écrit:
Equation (E.III.7)
La réponse en baromètre inversé est surtout observée au large. Elle se complique sur le plateau continental en raison de la topographie marine et littorale qui piège les perturbations barométriques du niveau de la mer et les contraint à se propager sous forme d'ondes de berge sur de longues distances. La réponse devient alors dynamique. Elle serait ainsi difficile à isoler de certains effets du vent qui sont associés au passage des systèmes dépressionnaires et qui se propagent en particulier le long du littoral. Dans le cas d'un ajustement fidèle au modèle hydrostatique de baromètre inversé, une augmentation de un millibar de la pression atmosphérique correspond à une baisse d'environ un centimètre du niveau de la mer. Aussi, l'effet observé sur la variation du niveau de la mer atteint typiquement des valeurs de quelques dizaines de centimètres sur une échelle de plusieurs jours. L'effet présente souvent une modulation saisonnière de l'ordre de plusieurs centimètres, qui dépend globalement de la latitude considérée.
Les vents sont étroitement liés à la distribution des basses et des hautes pressions de l'atmosphère. Leur énergie mécanique entraîne les masses d'eau en surface par simple effet de friction, générant ainsi la houle et les courants. Les effets du vent sur le niveau de la mer sont variés. A l'échelle de la journée, la météorologie côtière est à l'origine d'un phénomène local de surélévation ou de dépression du niveau de la mer. De jour, le sol est plus chaud que la mer, l'air s'élève et une baisse de pression se crée au-dessus de la terre. Le vent souffle alors de la mer, où la pression est relativement plus haute, vers la terre. La nuit, le phénomène s'inverse. La composante du vent perpendiculaire à la côte entraîne un empilement ou une dépression des masses d'eau. A une échelle spatiale plus large, mais sur un intervalle de temps supérieur au jour, ceux sont les mécanismes connus sous le nom de " downwelling " et " upwelling " qui affectent le niveau de la mer côtier. Ils proviennent de l'action combinée de la composante du vent parallèle à la côte et de la dérive d'Ekman. Le courant marin résultant est dirigé à 90° à droite de la direction du vent dans l'hémisphère nord (à 90° à gauche dans l'hémisphère sud), soit un transport perpendiculaire à la côte. La figure 62 illustre les deux cas qui peuvent alors se présenter.
Figure 62 : Description schématique des processus de " downwelling " et " upwelling ". Nous considérons ici le cas de l'hémisphére nord.
Lorsque les masses d'eau en surface sont ainsi chassées vers le large, elles sont compensées par des remontées d'eau profonde froide, c'est un " upwelling ". En revanche, lorsqu'elles sont acculées vers la côte, nous avons une accumulation d'eau chaude en surface et une dépression de l'eau froide en profondeur, c'est un " downelling ". La densité de l'eau s'en trouve affectée, de sorte que le niveau de la mer varie en conséquence par effet stérique. L'amplitude de la variation est de l'ordre de quelques dizaines de centimètres sur des périodes de deux à dix jours.
La dérive d'Ekman résulte de l'action conjuguée du vent et de la force de Coriolis, qui dévie tout mouvement vers la droite dans l'hémisphère nord, et vers la gauche dans l'hémisphère sud. Le courant marin de surface ainsi créé se déplace à 45° à droite dans l'hémisphère nord (à 45° à gauche dans l'hémisphère sud) par rapport à la direction du vent. Son intensité diminue avec la profondeur et sa direction tourne d'autant plus vers la droite. Le transport d'eau intégré verticalement est de fait dirigé à 90° à droite de la direction du vent dans l'hémisphère nord (à 90° à gauche dans l'hémisphère sud). L'effet est connu le nom de dérive d'Ekman en honneur à l'océanographe qui expliqua de manière théorique ce phénomène.
Deux types de circulation générale sont observés dans les océans. D'une part, nous avons une circulation formée par les courants géostrophiques, qui dominent les mouvements en surface à l'échelle des bassins. D'autre part, nous avons une circulation thermohaline, qui s'effectue surtout en profondeur à travers l'ensemble des océans. La distinction vient naturellement des mécanismes physiques qui se trouvent à l'origine des deux circulations. L'élément moteur de la première est l'action mécanique du vent, tout particulièrement les alizés, ces vents qui soufflent constamment des hautes pressions subtropicales vers les basses pressions équatoriales. L'alizé de l'hémisphère nord souffle du nord-est vers le sud-ouest; l'alizé de l'hémisphère sud, du sud-est vers le nord-ouest. Quant à la circulation thermohaline, elle serait contrôlée par les masses d'eau relativement plus denses qui plongent en profondeur dans le nord de l'océan Atlantique.
La force d'entraînement de Coriolis agit sur les masses d'eau mises en mouvement sur de longues distances par des vents réguliers. Son action s'intensifie d'autant que l'on s'élève en latitude. Elle explique en particulier qu'à l'échelle du bassin la forme générale d'un courant géostrophique soit une boucle de circulation tournant autour d'une " bosse " d'environ un mètre d'amplitude suivant le sens direct des aiguilles d'une montre dans l'hémisphère nord, et suivant le sens contraire dans l'hémisphère sud (cf. figure 68). En première approximation, en négligeant notamment les processus transitoires, les forces externes dues notamment à la tension du vent, et les forces de viscosité générées par le frottement des masses d'eau, il résulte que la force de Coriolis est en équilibre avec la composante transversale de la force due au gradient horizontal de pression à la surface de l'océan (cf. figure 63). C'est la notion d'équilibre géostrophique qui, par ailleurs, donne son nom aux grands courants marins de surface ainsi créés. Elle permet de relier la topographie de la surface de la mer, plus précisément sa dénivelée, avec la vitesse des courants par la relation:
Equation (E.III.7)
La vitesse du courant géostrophique suit les lignes de niveau de la hauteur h, et sa direction est telle que les niveaux hauts de la surface libre sont à sa droite dans l'hémisphère Les pentes associées aux courants océaniques, comme le Gulf Stream et le Kuro Shivo, sont typiquement de l'ordre du mètre m sur une distance de cent kilomètres, pour des vitesses d'environ un mètre par seconde [Le Provost, 1993].
Les effets de ces grands courants marins sur le niveau de la mer dépendent de l'état de l'atmosphère, notamment de sa circulation générale, qui gouverne la distribution et l'intensité des vents, d'une part, et les échanges de chaleur et d'eau douce, d'autre part. Les fluctuations sont complexes et encore mal connues. L'échelle de temps concernée par les variations est vraisemblablement saisonnière à séculaire. Notons en effet que le temps nécessaire à une particule pour compléter le tour de l'Atlantique par le Gulf Stream est estimé entre cinq et dix ans, alors que la durée du périple mondial par la circulation thermohaline serait de l'ordre du millier d'année.
Figure 63 : Description du mécanisme d'équilibre géostrophique. Cas de l'hémisphère nord.
Nous avons déjà évoqué l'influence de la topographie marine et littorale sur le niveau de la mer, notamment dans le cadre des effets du vent. Les bassins contenant l'eau marine révèlent en outre un comportement particulier de guide d'ondes naturel, contraignant les perturbations locales du niveau de la mer à se propager plus ou moins bien sur de longues distances. L'effet est en général complexe en raison du caractère fortement non linéaire du mécanisme de propagation. Il est fonction de la morphologie et de la dimension des bassins considérés. La réponse dépend par ailleurs des caractéristiques spatio-temporelles propres à la perturbation initiale.
Un cas particulier intéressant concerne le phénomène des seiches. Elles se manifestent comme des oscillations périodiques du niveau de la mer que l'on peut observer dans des étendues d'eau limitées par une topographie partiellement close: baie, port, lac, estuaire, détroit, etc. Les mécanismes physiques potentiellement à l'origine de ces ondes stationnaires sont variés. C'est ainsi que, dans certains cas, la marée est la source d'une oscillation forcée de type seiche; dans d'autres cas, la houle ou la variation brusque de la pression atmosphérique génèrent la perturbation qui engendre l'oscillation libre. Dans ce dernier cas de figure, l'onde s'atténue lentement après la disparition de la cause. Plus généralement, dès lors qu'une variation du niveau de la mer a une période cohérente avec les dimensions du bassin en question, l'onde est piégée et amplifiée par un phénomène de résonance. La période naturelle du bassin est définie par ses dimensions de la manière suivante:
Equation (E.III.7)
Les observations marégraphiques révèlent typiquement des seiches de quelques centimètres d'amplitude et de quelques minutes de période. Mais, il est intéressant de noter que le lac de Genève présente parfois une seiche de 40 cm d'amplitude et de 73 mn de période, ou encore que, dans la mer Adriatique, on observe des seiches de 11h et 22h qui s'atténuent sur deux à trois jours (P. Pirazzoli, communication orale). Au sujet de la mer Adriatique, Pirazzoli nous précise que les seiches de 22h peuvent atteindre une amplitude de plus d'un mètre, le 12 mars 1958 on a observé à Venise une amplitude de 112 cm, alors que les seiches de 11h dépassent rarement 50 cm d'amplitude mais elles peuvent se superposer aux précédentes.
L'action dynamique et non linéaire de la topographie marine est également responsable de la valeur atypique de l'amplitude et du déphasage des ondes de marée observées dans certains ports, notamment dans les zones peu profondes et partiellement fermées telles que la Baie de Fundy, au Canada, ou la Baie du Mont du Saint-Michel, en France. Enfin, elle affecte également la propagation des ondes de tempête à l'approche de la côte, ainsi que celle des redoutables tsunamis. Ces derniers sont des ondes qui peuvent être engendrées par le déplacement vertical brusque du fond de la mer, souvent de nature sismique, par les éboulements dans la mer ou sous-marins, et par les explosions volcaniques. Ils traversent parfois des bassins océaniques entiers avec une amplitude qui excède rarement le mètre au large, mais qui sur le plateau continental peut devenir très importante suivant la configuration locale de la topographie marine et des réflexions multiples qui y seront générées.
Nous avons vu dans le chapitre I que le changement de la densité de l'eau dû à la température et à la salinité produit un effet sur le volume occupé par le liquide; c'est l'effet stérique. Quand l'océan se réchauffe ou quand sa salinité diminue, il se dilate et son niveau s'élève; en revanche, lorsque l'océan se refroidit ou lorsque sa salinité augmente, il se contracte et son niveau s'abaisse. Ces variations du niveau de la mer ont une périodicité naturelle privilégiée annuelle à cause de l'orbite de la Terre autour du Soleil qui définit en partie le rayonnement solaire incident. Elle s'exprime par un cycle saisonnier de la température, des précipitations, de l'évaporation de l'eau, de la formation de glace, et du débit des fleuves entre autres. A cet égard, rappelons que les effets météorologiques vus précédemment ont ausi un comportement saisonnier. La répartition des pressions atmosphériques est en effet modifiée suivant les échanges thermiques engendrés par le rayonnement et la convection.
Les variations stériques saisonnières présentent une cohérence à grande échelle spatiale. Leur amplitude est proportionnelle à la variation de la température, qui dépend en outre de la latitude à cause de la sphéricité de la Terre et du contraste induit par l'inclinaison de l'axe de rotation terrestre. L'effet est typiquement de l'ordre de quelques centimètres aux tropiques et d'une dizaine de centimètres dans les latitudes plus élevées. Il est globalement plus net dans l'hémisphère nord que dans l'hémisphère sud en raison de la répartition de la chaleur sur une surface deux fois plus petite. Les niveaux de la mer plus bas, observés au printemps de chaque hémisphère, et inversement plus élevés en automne, s'expliquent par l'inertie thermique des vastes étendues d'eau qui retarde la réponse de quelques mois. Par ailleurs, l'amplitude de l'effet stérique saisonnier est modulée par les courants géostrophiques qui transportent des masses d'eau plus froides ou plus chaudes, et par la profondeur de la couche de mélange. L'intensité et la portée des courants, d'une part, et la profondeur de la couche de mélange, d'autre part, dépendent de la vitesse des vents qui varie avec les saisons. Notons que la couche de mélange est défini par les couches d'eau de surface qui subissent directement l'effet du vent. Elle est très turbulente et pratiquement homogène en température et en salinité sur la verticale. Sa profondeur peut varier entre 50 mètres en été et 200 à 800 mètres en hiver suivant les régions, sa température variant de 2 à 10 °C. Enfin, il est important de signaler qu'elle régule le cycle des saisons en absorbant ou en libérant la chaleur stockée [Minster, 1994].
Les changements saisonniers du débit des cours d'eau, dus d'abord aux précipitations mais aussi aux contrôles des barrages, altèrent la salinité et la température de l'eau à l'embouchure. Ces effets fluviaux ont un caractère local. Ils ne doivent toutefois pas être ignorés, car relativement peu de marégraphes sont placés sur une côte dégagée. Or, un marégraphe est en général associé à la direction d'un port, souvent à proximité de l'embouchure d'un cours d'eau, où la densité de l'eau est susceptible de changer de manière notable. De fait, il est recommandé d'éviter le choix de marégraphes ainsi situés, car ces processus physiques ont probablement un signal à long terme susceptible de biaiser l'estimation des variations eustatiques.
Enfin, les variations de densité des masses d'eau dans le nord de l'océan Atlantique semblent contrôler la formation des eaux profondes et la circulation générale thermohaline de l'océan. Or, nous avons vu que celle-ci régule la distribution de masse et de chaleur à l'échelle mondiale sur plusieurs centaines d'années, et donc l'ampleur de l'effet stérique.
Nous avons vu dans le premier chapitre quelles étaient les causes générales des variations géologiques du niveau des mers. A cette occasion, nous avons décrit en détail les effets de la fonte ou de la formation des glaces continentales, de même que les effets stériques en liaison avec les glaciations. Il est toutefois intéressant de noter que l'apport stérique est difficile à démontrer par l'observation en raison du faible nombre de mesures pertinentes, répétées aux mêmes endroits, à des intervalles de temps longs et réguliers [Le Provost, 1993]. D'un point de vue théorique, les simulations récentes effectuées avec des modèles climatiques globaux, intégrant le couplage de l'atmosphère et des océans, suggèrent une contribution séculaire variable dans l'espace de l'effet stérique. Les réponses pourraient différer d'un facteur deux à trois d'une région à l'autre. Ces écarts sont principalement expliqués par la répartition variable des changements de température en surface, mais également par la variabilité de la circulation générale océanique [IPCC, 1995]. Notons enfin que les estimations de l'ampleur de chacun des facteurs eustatiques est encore assez large (cf. figure 8).
Outre ces effets à très long terme, d'autres effets climatiques interviennent dans les variations du niveau de la mer. Ils présentent néanmoins des échelles spatiale et temporelle plus réduites. Un exemple de variabilité décennale du niveau de la mer est rapportée par Barnett [1984]. L'auteur mentionne l'existence d'une oscillation pluridécennale, de l'ordre de trente ans, dans le sud-est asiatique, une région qui se trouve sous l'influence de la mousson indienne et des alizés du nord-est. Nous avons en effet vu que la température n'est pas le seul paramètre à subir des variations climatiques. De fait, la circulation générale atmosphérique peut modifier à l'échelle locale et régionale le cycle de l'eau, le système des pressions barométriques, et par suite le régime des vents, les courants marins, etc.
Un cas particulier intéressant de fluctuation climatique est celui du phénomène " El Niño ", qui se manifeste par l'apparition d'une couche épaisse d'eau plus chaude que la moyenne dans la région équatoriale du Pacifique, le long des côtes du Pérou. L'effet stérique associé se traduit par une élévation du niveau de la mer de l'ordre de 20 à 40 cm le long des côtes sud-américaines du Pacifique. La figure 64 schématise le mécanisme physique à l'origine. Il est connu également sous le sigle ENSO (El Niño-Southern Oscillation) en raison de l'action conjuguée de l'océan et de l'atmosphère.
Les vents alizés entraînent vers l'ouest les couches superficielles d'eau chaude de l'océan Pacifique équatorial, créant une pente du niveau de la mer entre l'Australie et l'Amérique du sud d'environ quarante centimètres sur dix mille kilomètres. Lorsque ces vents réguliers s'affaiblissent, les eaux chaudes superficielles reviennent vers les régions côtières de l'Amérique. La propagation vers l'est se fait sous forme d'ondes de Kelvin en quelques mois. Le phénomène d'affaiblissement se produit tous les quatre à six ans. Il ne perdure pas pourtant. On observe en général par la suite une situation avec des vents alizés plus intenses. La situation se traduit alors par des températures de l'eau anormalement froides sur les côtes pacifiques de l'Amérique du sud; elle est connue sous le nom de " La Niña ".
Figure 64 : Description schématique du phénomène ENSO, d'après Peixoto & Oort [1992].
Le renforcement des vents proviendrait de la réflexion des ondes de Kelvin sur la côte, générant ainsi des ondes de Rossby qui se propagent vers l'ouest et traversent les bassins en quelques années. Le mécanisme physique n'est pas vraiment encore éclairci [Minster, 1994]. Les conséquences climatiques du phénomène ENSO se répercutent à l'échelle de toute la planète. Elles se traduiraient par de la sécheresse en Australie, au Brésil et en Afrique de l'Est, et par un affaiblissement de la mousson indienne.
Figure 65 : Tableau récapitulatif des signaux océaniques qui sont susceptibles de figurer dans la composante océanique de l'enregistrement d'un marégraphe. Les ordres de grandeur sont cohérents avec Pirazzoli [1976], Pugh [1987], Emery & Aubrey [1991], et Le Provost [1993].
Signal Amplitude typique Echelle temporelle Seiches Marées 1 à 10 cm Minutes Semi-diurne, diurne, 100-200 cm mois, années, 18,6 ans Effet de baromètre 1 à 10 cm 10 jour ---> semaine 2 à 10 inversé (1.01 cm/hPa) à 100 cm 10 à 20 jours 2 à 10 jours Effets du vent Ondes cm 1m / 100 km interannuelles 10 à 100 jours de tempêtes 10cm / qqs 100 km Upwellings côtiers Courants géostrophiques - grandes échelles - mésoéchelles Modulation des ---> 40 cm cm annuelles à pluriannuelles effets ---> 10cm météorologiques Effets stériques El Niño Southern 10 cm à 50 cm interannuel très long terme Oscillation mm/an mm/an (séculaire à millénaire) très Glaciations - apport mm/an long terme très long terme de masse d'eau - stérique Réservoirs d'eau continentale
Au regard de cette revue des mécanismes physiques susceptibles de figurer dans la composante océanique de la mesure d'un marégraphe, les variations eustatiques paraissent extrêmement petites et difficiles à dégager des nombreuses autres sources de variation du niveau de la mer, beaucoup plus grandes. Si les fluctuations interannuelles et interdécennales ne s'effectuent pas à l'échelle globale, elles ne semblent pas toujours indépendantes d'un site à l'autre. Toutefois, elles n'exhibent pas clairement des caractéristiques d'amplitude ou de période bien définies. Cela ne signifie pas que le mécanisme physique en question n'agit pas à l'échelle régionale, mais plutôt que l'explication n'est pas simple en termes de forçage. Aussi, les effets locaux prennent souvent le dessus. Il est donc difficile d'identifier une cause unique de tant de sources potentielles de variation du niveau de la mer qui peuvent figurer dans l'enregistrement marégraphique.