Bien qu'elle soit largement utilisée, la notion de niveau de la mer n'en reste pas moins vague comme le remarquent quelques auteurs [Pirazzoli 1976, Le Provost 1988]. C'est pourquoi, nous essayons à présent de la clarifier quelque peu et de comprendre la raison de ce flou auquel contribue la multitude d'expressions dérivées telles que: niveau global de la mer, niveau moyen de la mer, niveau des mers, etc.
Dans l'expression " niveau de la mer ", nous avons, d'une part, le concept implicite de surface de la mer, et d'autre part, celui de niveau. La surface de la mer est l'interface qui sépare les deux grands fluides du système climatique que sont l'atmosphère et l'océan. L'idée de niveau se définit par ailleurs comme le degré d'élévation d'une surface, d'une ligne ou d'un point lui appartenant, par rapport à une surface de référence qui lui est parallèle. Aussi, une surface de niveau est une surface dont tous les points sont au même niveau, formant en particulier une surface normale aux lignes de champ de la pesanteur terrestre. Elle est également connue sous la désignation de surface équipotentielle. Notons toutefois que cette terminologie ne se restreint pas au seul champ qui est généré par la force de la pesanteur. La surface de la mer ne peut être considérée comme une surface de niveau car elle change sans cesse, d'un jour à l'autre, et d'un lieu à l'autre. Le spectre de ces fluctuations est large; nous le verrons plus en détail dans un chapitre ultérieur. Par conséquent, il est difficile de parler de niveau de la mer si ce n'est localement. Mais, en atténuant fortement la variabilité temporelle par le calcul de moyennes, l'idée n'est plus aussi absurde. La surface moyenne de la mer diffère peu d'une surface de niveau, l'écart typique étant souvent inférieur au mètre. Elle sert d'ailleurs à réaliser la surface équipotentielle de référence mondiale appelée le géoïde. Leurs écarts résultent de l'attraction gravitationnelle des autres astres du système solaire, des courants océaniques, des variations de densité et des effets météorologiques, qui n'ont pas pu être éliminés par le calcul de moyennes en raison de leur nature systématique et non périodique sur l'intervalle de temps considéré.
Le caractère vague est en partie dû à la notion de moyenne. Le niveau moyen de la mer se réfère de fait à une moyenne dans le temps. Elle n'a donc de sens que si la période de temps est spécifiée, et si les fluctuations de période inférieure sont éliminées. Lorsque l'on souhaite se rapporter à la moyenne spatiale du niveau de l'ensemble des mers, il convient plutôt d'utiliser l'expression niveau global de la mer ou niveau des mers. Le qualificatif global signifiant mondial, et les mers étant dans ce cas un terme générique qui comprend les océans et les grandes étendues marines reliées. Par ailleurs, la surface de référence des valeurs de niveau doit être en accord avec la cohérence spatiale de la grandeur considérée. Ainsi, le niveau des mers sera par exemple défini par rapport à un ellipsoïde associé à un système de référence terrestre mondial, ou encore par rapport au géoïde. En revanche, le niveau de la mer peut être déterminé par rapport à un plan horizontal défini localement à travers un ou plusieurs repères matériels liés à l'écorce terrestre, ou encore, par un réseau de nivellement réalisant un système national d'altitudes.
Dans notre étude, le niveau moyen de la mer et le niveau moyen des mers se rapporteront, sauf indication explicite, à la valeur moyenne obtenue sur une période de un an.
Nous avions démarré le premier chapitre avec une revue des définitions de l'eustatisme présentées par quelques dictionnaires encyclopédiques. Les deux éléments intéressants que nous en avions retenus étaient des variations globales et lentes du niveau de la mer. Le tour d'horizon du système climatique de la Terre et l'étude de la relation entre les changements climatiques et le niveau des mers ont apporté une vue plus complète, en précisant notamment les liens et les processus physiques impliqués.
Pugh [1987] et Ekman [1992] définissent les variations eustatiques comme les changements globaux de volume d'eau océanique dus à la fonte ou à la formation de glace continentale, d'une part, et à la dilatation thermique, d'autre part. Mais, beaucoup d'auteurs comprennent dans ces variations d'autres causes qui affectent le niveau moyen de la mer à l'échelle mondiale [Pirazzoli 1976, IOC 1985]. Par ailleurs, Lisitzin [1974] et Le Provost [1993] limitent la contribution eustatique du changement à long terme du niveau des mers à la fonte des glaces continentales. Lisitzin [1974] reconnaît toutefois qu'en général d'autres phénomènes, tels que l'isostasie, sont comptés dans les variations eustatiques. Pugh [1987] préfère distinguer les mouvements verticaux de l'écorce terrestre d'étendue régionale en les regroupant sous la désignation " changements épirogéniques ". Il insiste sur la définition des variations eustatiques du niveau des mers restreinte aux seuls changements de volume d'eau en relation avec la surface occupée par les océans; et ceci malgré les difficultés considérables pour observer ces changements libres des déformations isostatiques des bassins océaniques.
Les variations eustatiques sont par nature lentes comme nous avons pu le voir dans les sections précédentes en étudiant les causes de changement du niveau des mers. On parle souvent de tendance à long terme du niveau moyen des mers. Mais la notion de long terme est vague et varie selon le problème posé. Aussi, on utilise le terme séculaire, qui précise l'intervalle sur lequel on estime l'évolution moyenne de ce niveau global de la mer.
Lisitzin [1974] remarque que l'élévation eustatique de l'Holocène peut difficilement être considérée comme continue et uniforme. A ce titre, rappelons les trois événements brusques déterminés par Blanchon [1995], qui viennent altérer la variation progressive et lente appréciée par ailleurs. En outre, la distribution mondiale de la température n'est pas uniforme sur l'ensemble des mers [Levitus, 1982], ni l'amplitude de ses variations. Cette remarque s'applique aussi bien à l'échelle saisonnière que séculaire ou millénaire.
L'intérêt du niveau de la mer réside dans son lien avec les changements climatiques. C'est une grandeur relativement facile à mesurer, qui fournit des indices précieux sur les processus physiques à l'origine de ses variations. Aussi, une connaissance précise des variations eustatiques passées apportera des contraintes aux modèles climatiques, et améliorera leurs prévisions. Aujourd'hui, ces modèles prévoient une élévation globale de la température, en particulier aux hautes latitudes, due à l'injection massive de gaz à effet de serre dans l'atmosphère depuis l'avènement de l'ère industrielle. Contrairement à l'opinion générale, le réchauffement mondial pourrait se traduire, selon quelques auteurs, par une baisse du niveau moyen des mers, et non par une hausse. En effet, le bilan des masses de l'Antarctique deviendrait positif, car le contenu en vapeur d'eau et les précipitations augmenteraient dans une atmosphère plus chaude. L'accumulation de glace serait alors relativement plus importante que la fonte ou le vêlage.
La même hypothèse de réchauffement climatique conduirait donc à l'un ou l'autre des deux effets antagonistes suivant les connaissances actuelles, et l'analyse qualitative et quantitative du problème. De nombreux chercheurs admettent une augmentation du niveau moyen des mers d'une dizaine de centimètres au cours du dernier siècle. Cette hypothétique élévation eustatique récente est obtenue de l'analyse des enregistrements de marégraphes.