Un réseau de nivellement est la réalisation pratique et matérielle d'un système de référence d'altitude. Il convient de rappeler les éléments principaux qui définissent un tel système, à savoir:
Le besoin d'un type d'altitude provient de l'espacement variable des équipotentielles du champ de pesanteur. En effet, la dénivelée entre deux points de surfaces de niveau différentes dépend du chemin suivi. La figure 69 illustre ce propos. La dénivelée du point O au point A peut être déterminée a priori par le chemin (OO'A) ou par le chemin (OA'A). Le résultat n'est pourtant pas identique. Afin de pallier à cet inconvénient, on a doté l'altitude d'une dimension physique en introduisant la notion de travail effectué par l'unité de masse contre la pesanteur, soit:
Equation (E.V.1)
Figure 69 : Incidence de l'espacement des surfaces équipotentielles sur les résultats des mesures de dénivelées.
La relation (E.V.1) défini les cotes géopotentielles. Ce type particulier d'altitudes, dont le traitement s'avère parfois pratique, présente toutefois l'inconvénient de fournir des résultats dans une dimension autre que celle de la longueur. Aussi, les divers types d'altitudes cités précédemment divisent la quantité WOA par une valeur conventionnelle de l'accélération de pesanteur {g}. Le choix de {g} définit en outre le type d'altitude.
La surface de référence souhaitée devant approcher au mieux le concept abstrait de géoïde, on a souvent choisi d'affecter l'altitude zéro à la moyenne du niveau de la mer calculée sur un intervalle de temps, le plus long possible, à partir des enregistrements d'un marégraphe, établi en un point de la côte. Le niveau moyen de la mer ainsi déterminé est matérialisé par l'altitude d'un repère, appelé point fondamental ou zéro du nivellement. Cette altitude correspond à la hauteur du repère fondamental au-dessus du niveau moyen de la mer, choisi conventionnellement en un lieu, sur une période donnée. Les altitudes de l'ensemble des repères du réseau de nivellement se réfèrent alors de proche en proche, par techniques de nivellement, à ce point origine du système d'altitude.
En France, trois réseaux de nivellement ont matérialisé successivement le système d'altitude de la métropole. Le premier fut engagé par Paul-Adrien Bourdaloue [1798-1868]. Il fut implanté entre 1850 et 1870. Le deuxième fut établi par Charles Lallemand [1857-1938] entre 1880 et 1910, et le troisième par l'IGN entre 1962 et 1969. Regroupés sous le terme générique de Nivellement Général de la France (NGF), ces trois réalisations sont connues respectivement sous les noms de réseau Bourdaloue, réseau Lallemand, et réseau IGN69. L'origine du réseau Bourdaloue fut fixée le 13 janvier 1860 par une décision ministérielle approuvant l'avis du Conseil général des Ponts et Chaussées [Vincent, 1996]. Il coïncide avec un niveau moyen de la Méditerranée à Marseille, matérialisé par le trait 0.40 m de l'échelle de marée en marbre, qui était située à l'entrée du bassin de radoub, dans l'ancien port, près de l'intendance sanitaire et non loin du Fort Saint-Jean. Les deux réseaux suivants sont fondés sur la même origine; elle fut établie à partir des observations du marégraphe totalisateur de Marseille enregistrées entre le 3 février 1885 et le 1er janvier 1897. Elle se trouve à 71 mm sous le " zéro Bourdaloue ", soit sur la graduation 0.329 m de l'échelle du Fort Saint-Jean, et à 1.661 m sous le repère fondamental scellé dans la salle du puits de tranquillisation du bâtiment du marégraphe.
Les altitudes des repères définissent implicitement la surface d'altitude zéro du réseau de nivellement. S'il s'agit en théorie d'une équipotentielle du champ de pesanteur, elle s'en écarte toutefois en pratique à cause des erreurs d'observation systématiques et résiduelles qui s'accumulent avec le nombre considérable de mesures élémentaires de nivellement nécessaires pour couvrir un territoire tel que la France.
C'est la confrontation des résultats obtenus indépendamment de l'océanographie et de la géodésie qui a révélé une déformation particulière des surfaces d'altitude zéro de nombreux réseaux de nivellement nationaux de par le monde, en particulier, en Australie [Castle & Elliott, 1982], aux Etats-Unis [Fischer 1976; Balzas & Douglas 1979], en France [Kasser, 1983], et au Royaume-Uni [Rossiter 1967; Thompson 1980]. Il est en effet possible d'accéder au géoïde en corrigeant la surface de la mer des effets météorologiques et océanographiques qui l'en écartent. Le nivellement hydrodynamique s'appuie sur cette méthode. Il permet de connecter des réseaux terrestres de part et d'autre d'une étendue d'eau: îles, détroits, etc. Aussi, l'idée d'inclure des marégraphes dans les réseaux de nivellement offre des perspectives intéressantes. D'un côté, les géodésiens peuvent les utiliser comme points de contrôle et de contrainte d'ajustement de leurs résultats; de l'autre, les océanographes peuvent calculer les courants marins à partir des différences de niveau moyen de la mer observés aux marégraphes. De fait, aucune des deux communautés n'a vraiment exploité ces possibilités. Une pente importante dans le sens nord-sud est apparue lorsque l'on a exprimé les niveaux moyens de la mer donnés par les marégraphes dans les réseaux d'altitude nationaux cités ci-dessus. Or, ces gradients zonaux du niveau de la mer étaient difficiles à expliquer d'un point de vue océanographique, d'autant que, par ailleurs, les mesures de courantométrie n'indiquaient pas la présence de tels courants. Les discordances sont longtemps restées sans explication, chaque communauté postulant a priori des erreurs chez l'autre.
En France, la comparaison des différents réseaux de nivellement a permis de mettre en évidence les effets systématiques liés aux observations de nivellement. Partant d'un même point origine, les réseaux Lallemand et IGN69 aboutissent à Dunkerque avec un écart de l'ordre de soixante centimètres, qui ne peut en aucun cas être attribué aux types d'altitude différents associés à chacun. En 1983, l'IGN a effectué un " nivellement de très haute précision " entre les marégraphes de Marseille et de Dunkerque afin d'apporter des éléments complémentaires d'étude sur la discordance nord-sud observée [Kasser, 1989]. Les résultats donnent une altitude zéro à Dunkerque qui se situe entre les valeurs du réseau Lallemand et IGN69, soit 35,39 cm au-dessus du premier et 25,16 cm sous le second. L'auteur conclue à l'évidence d'une pente Nord-Sud des surfaces d'altitude zéro des réseaux Lallemand et IGN69, de part et d'autre du géoïde, sans qu'il puisse vraiment expliquer pourquoi. De nombreux éléments laissent toutefois supposer que la réalisation IGN83, limitée à une traverse sur le territoire national, donne des valeurs bien meilleures que les précédentes. Par ailleurs, l'auteur montre que les marégraphes établis le long des côtes de l'Atlantique et de la Manche présentent un niveau moyen de la mer cohérent, de quelques vingt centimètres, dans un système IGN83 prolongé artificiellement en Est-Ouest suivant les discordances zonales constatées à la latitude des marégraphes. Cet écart par rapport à la Méditerranée pourrait en outre parfaitement s'expliquer d'un point de vue océanographique par un effet stérique dû à la différence de salinité entre les eaux méditerranéennes et atlantiques.
MAREGRAPHE | Niveau moyen de la mer dans le système IGN83 (en cm) |
---|---|
DIEPPE LE HAVRE CHERBOURG BREST SAINT-NAZAIRE LA PALLICE SAINT-JEAN-DE-LUZ |
21 30 16 17 22 26 19 |
Au Royaume-Uni, l'énigme de la pente du niveau de la mer apparente le long des côtes Nord-Sud semble désormais levé par des moyens techniques indépendants du nivellement. Une étude récente fondée sur la combinaison des données de marégraphie, de positionnement précis par géodésie spatiale, et d'un géoïde gravimétrique, ne révélerait pas de pente appréciable du niveau moyen de la mer sur les côtes britanniques [Ashkenazi et al, 1994].
Au regard de ces quelques résultats, on comprend mieux qu'il faille proscrire de définir la référence d'un marégraphe sur celle d'un système d'altitude national. Chaque nouvelle matérialisation du système d'altitude est susceptible d'introduire des discontinuités d'origine non océanographique dans l'enregistrement du niveau de la mer. Il convient plutôt d'exprimer les données de marégraphie par rapport au repère de marée, ou, ce qui somme toute revient au même, par rapport à un plan horizontal arbitraire, défini en relation directe avec le repère de marée, localement. Ce faisant, nous donnons la possibilité de distinguer les aspects marégraphiques et océanographiques des aspects géodésiques et épirogéniques dans la recherche de tendance séculaire du niveau de la mer.
Enfin, soulignons la difficulté de déterminer des mouvements verticaux de l'écorce terrestre à partir des nivellements nationaux successifs. En effet, comment interpréter les écarts observés entre nivellements passés en termes de déplacements géophysiques alors que l'on admet par ailleurs que de nombreux défauts systématiques sont vraisemblablement encore incompris aujourd'hui. Le niveau de confiance de telles déterminations s'appuie sur des présomptions et des hypothèses quelque peu subjectives.